mardi 17 mars 2009

Vers une dématérialisation de l’enveloppe

En parcourant l’histoire de l’architecture de L’Antiquité à la Renaissance, on constate que l’enveloppe architecturale en tant qu’épaisseur structurelle se dédensifie (pendant la période gothique) ou se dématérialise en quelque sorte ou le mur porteur se fragmente en une colonnade, en un mur qui se décompose en plusieurs ordres, en un mur qui devient porteur de sens et d’ornements. La colonne grecque et la colonne de la Renaissance n’ont pas le même statut. L’architecturologie hégélienne évoque le rôle salutaire de la colonne.

L’architecturologie hégélienne
Les colonnes

Circulant entre les colonnes d’un temple grec ou d’une cathédrale gothique, on « flirte » avec l’intérieur et l’extérieur. C’est le don de la colonnade : d’écarter les murs.
Le grand évènement de l’histoire de l’architecture selon l’architecte Louis Kahn :

«L’architecture commence quand le mur s’ouvre, s’ajoure, s’écarte, quand les colonnes surgissent en se libérant du mur.»

La colonne est une constante dans la tradition architecturale. Elle est l’ornement principal de l’architecture comme le pensait Alberti mais elle surtout reconnue pour ses propriétés topologiques qui consistent à inscrire une limite sans produire de fermeture.

« […] bien qu’une rangée de colonnes, placées les unes à côté des autres en ligne droite, marque déjà une limitation, elle ne constitue cependant pas un entourage, à la manière d’un vrai mur ou d’une vraie muraille, mais se trouve au contraire à une certaine distance du mur proprement dit et se dresse en toute liberté. »

Entre les colonnes du temple grec, on respire pour la première fois l’air de la liberté. Le sens du Temple est d’offrir cette liberté de promenade dans un paysage à la mesure de l’homme qu’on vient d’inventer :

« Dans ces prostyles et amphiprostyles, dans ces colonnades simples ou doubles qui débouchent directement en plein air, on voit les hommes circuler ouvertement, librement, tantôt dispersés, tantôt groupés au hasard. Car les colonnes en général, servent non pas à enfermer, mais à délimiter, les limites qu’elles tracent, étant facilement franchissables, de sorte qu’on se trouve à la fois à l’extérieur et à l’intérieur ou qu’on peut tout au moins sortir à l’air libre, on a l’impression que les hommes ne se trouvent pas réunis là en vue d’un but, mais uniquement pour y déambuler, pour jouir de leur oisiveté et se livrer à des bavardages gais, légers et frivoles. »

L’architecture ici n’impose aucune signification, pas même une question, elle ouvre un espace favorable à la pure et simple venue.

Ainsi comme le prétendent Georg Wilhelm Hegel (1770-1831), Louis Kahn (1901-1974) ou encore un de nos contemporain philosophe, Benoît Goetz, la colonne permet de «dématérialiser» l’enveloppant - de le «perméabiliser» serait un terme plus approprié - et de créer entre ce dernier et l’enveloppé un nouvel espace, un espace que l’on qualifiera par la suite, dans une seconde partie réservée à «l’entre-deux».

Il faut attendre le XIXe siècle pour que surgisse véritablement ce mouvement de dématérialisation de l’enveloppe. L’époque moderne est marquée par l’emploi de nouveaux matériaux de construction tel que l’acier. Ces éléments d’acier, forgés par l’industrie naissante, ont permis la réalisation de gares ferroviaires, de halles d’exposition et de véritables cathédrales de verre.

L’émergence de nouveaux matériaux

La seconde moitié du XIXème siècle a marqué un tournant dans l’histoire de l’architecture et particulièrement dans le rapport entre l’espace, la structure et l’enveloppe. De nouveaux matériaux apparaissent tels le fer et le béton armé. Ces derniers ont permis de s’affranchir d’une longue tradition architecturale, la continuité de la maçonnerie qui régna sur des périodes entières de l’histoire de l’architecture et d’exploiter les possibilités de ces nouveaux matériaux afin d’obtenir une plus grande liberté dans la mise en œuvre. L’utilisation du fer permet de réduire la structure à une série de montants isolés et de traverses autrement dit à un unique élément capable de s’acquitter seul de la fonction portante.

Vers une autonomie de l’enveloppe architecturale

Structure et revêtement
Deux fondements théoriques, Viollet-le-Duc et Semper

A cette période, émergent deux grandes lignes théoriques, celle de l’architecte allemand Gottfried Semper avec son traité d’architecture « des stijl in der technischen ou tektonischen künsten » de 1860 et celle d’Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) avec ses Entretiens sur l’Architecture paru en 1863, qui diffèrent et s’opposent vis-à-vis de la hiérarchisation entre structure et revêtement et de la genèse de l’espace.

Viollet-le-Duc, un des théoriciens les plus vigoureux du courant rationaliste, considère le gothique comme l’une des manifestations les plus élevées des rapports organiques entre l’état de la civilisation, les formes architecturales et les procédures d’édification. Le gothique constitue, selon lui, un modèle insurpassable dont il tente de mettre à jour le principe profond afin de s’approprier son esprit et non d’en suivre servilement les formes. Dans son traité, la construction apparaît comme le noyau de la discipline architecturale, le lieu où se rencontrent, sous l’égide de la rigueur scientifique et technique, les déterminations sociales et l’invention formelle. Elle possède un caractère dynamique tout enveillant à ne jamais séparer l’objet architectural du processus qui lui donne naissance.

Ainsi, la démarche constructive se pare de dimensions nouvelles notamment sociale et morale. Les architectes doivent désormais se situer vis-à-vis de nouveaux préceptes comme la vérité et le mensonge dans la mise en œuvre des matériaux, le dévoilement ou la dissimulation de la structure.

Chez Semper qui réagit virulemment vis-à-vis de l’éclectisme, on retrouve le même genre de morale constructive. L’ornementation elle-même, selon lui, doit émaner de la technicité que requiert la mise en œuvre rationnelle des matériaux.
Dans son livre Lo stile, Gottfried Semper consacre une partie importante de son oeuvre sur le rapport de l’architecture et de l‘art textile. Semper, qui écrit ce livre à la fin du XIXème siècle, critique virulemment la poussée de l’industrialisation responsable selon lui de l’appauvrissement de la création artistique. Les architectes qui se laissent entrainer dans les prouesses techniques, avec l’apparition de l’acier dans la construction permettant de construire de plus en plus haut et d’augmenter considérablement les portées,oublient pour la plupart les fondements même du projet. Par conséquent, l’oeuvre de Semper tente de retrouver l’essence du projet et de montrer les références reconnues comme importantes et nécessaires à la conception du projet. Ces références, Semper les trouve dans l’art du textile, la céramique et la charpenterie.
Ainsi, pour Semper, l’architecture répond aux problématiques liées à la notion de couverture. Le revêtement, ou enveloppe du bâtiment, peut être traité de différentes manières. L’enveloppant peut être fin ou épais, transparent ou opaque, uniforme ou irrégulier, et changer suivant les variations de la lumière qui pénètre à l’intérieur de l’édifice. Il représente un élément essentiel du tout architecturé, en tant que lien étroit entre intérieur et extérieur. Se développant de manière poreuse ou imperméable, cet enveloppant englobe et protège une intériorité.
Or Semper insiste sur le fait que l’enveloppe est une épaisseur mais avant tout une surface signifiante. L’image que renvoie la façade, peut signifier de manière dircte ou indirecte, évoquer ou renvoyer à la sensibilité. Ainsi, l’enveloppe devient une partie essentielle du projet en tant qu’image porteuse de sens. La façade du bâtiment devient sa vitrine.

L’enveloppe sublimée
L’expression du rideau continu à travers
l’enveloppe nervurée de l’architecture viennoise


Vers la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, les problématiques développées par Gottfried semper autour du principe de revêtement, avec ses connotations symboliques, ses rapports à la tradition du textile, ses implications quant à l’exigence de la vérité constructive, sont à cette époque, au cœur de la culture architecturale viennoise.
« Otto Wagner, Josef Hoffmann, Joseph Maria Olbrich et Adolf Loos confient la caractérisation formelle de l’architecture au dessein de la paroi, perçue comme une page graphique riche de potentialités symboliques et autonome par rapport au système structurel. »
Ainsi, à la charnière du XIXème et XXème siècle, l’architecture viennoise qui se singularise par l’expression du rideau continu à travers l’enveloppe nervurée , est fortement influencée par l’idée sempérienne de la paroi comme limite de l’espace, chargée de valeurs symboliques.
Dans Der Stil, Semper fait l’apologie de la transfiguration de la technique, de cette « annulation de la réalité » à travers l’acte de « masquer », ce cet « oubli des matériaux » qui sera soutenu par les architectes viennois. Or le concept de masque implique de toute façon la maîtrise de la technique, d’où d’apparentes contradictions entre l’aspiration au Nutzstil comme application déterministe des technologies modernes et les applications concrètes de l’idéale de transfiguration symbolique de la réalité constructive prônée par Semper.
La primauté formelle dévolue à la paroi en tant que surface continue, précieusement habillée, a été déterminante dans l’usage de l’ossature de fer et du béton armé. L’ossature est circonscrite aux parties de soubassement des édifices destinés à des fonctions commerciales. Elle n’est jamais laissée apparente. Elle est toujours revêtue de précieuses plaques de pierres ou enfermée dans une enveloppe de plaques de verre et de tiges de fer.
Ainsi Wagner comme Hofmann et Loos, adopte des systèmes constructifs mixtes où la paroi fait l’objet d’une attention particulière en tant que surface et instrument privilégié du langage architectural.
Loos envisage également d’utiliser l’enduit en refusant la reprise de formes historicistes ou l’imitation d’autres formes de revêtement ou de maçonnerie. Loos attribue à l’enduit la valeur d’une peau mais renonce aux virtuosités graphiques du symbolisme textile propre à la décoration de goût wagnerien et sécessionniste. En 1898, il « théorise » des façades de maisons « lisses de haut en bas ». Ainsi, la « solution limite en matière de revêtement d’enduit » influencera considérablement les protagonistes des avant-gardes architecturales, de Le Corbusier à Walter Gropius, qui naît et se développe dans le cadre de la théorie sempérienne du revêtement.
Au cours de cette période, on procède à une série d’expérimentations sur le revêtement.Wagner propose un revêtement qui se caractérise par l’extrême réduction de l’épaisseur des plaques (environ deux centimètres) qui élimine toute amorce d’éléments du revêtement dans la maçonnerie et autorise une interdépendance absolue entre le dessin du revêtement et l’appareillage de maçonnerie. Le revêtement peut ainsi proposer son propre dessin comme image de la paroi, indépendante de toute logique tectonique.

Entre consistance et dématérialisation
Une tension dialectique constante
entre logique constructive et abstraction symbolique

Les nombreux textes théoriques de Berlage laissent transparaître une aspiration constante à conjuguer de façon cohérente la thèse de Semper sur l’origine textile de la paroi et celle de Viollet-le-Duc sur la vérité constructive.
Sa poétique vise à ramener l’enveloppe continue tissée par l’appareillage de briques et la présence de l’ossature structurelle en fer ou en béton armé. La charge de valeurs symboliques portée par la délimitation de l’espace et la vérité de la structure s’impose comme objectif dialectique. Cet idéal de transparence absolue s’accomplit dans une recherche de spatialité interne organisant matière et fonctions. D’où la dialectique entre squelette et continuité de la maçonnerie, entre tectonique de l’appareillage de construction en briques et suggestion de sa sublimation en rideau, entre consistance et dématérialisation.
La paroi de briques apparentes qui vit de la tension dialectique constante entre logique constructive et abstraction symbolique, s’étend comme un rideau découpé d’une séquence de vides portés au rang de motifs d’un tissu léger qui n’est autre que la surface murale.
L’architecture de Berlage se caractérise par des membrures articulant l’enveloppe afin de constituer un élément de médiation entre la continuité de la paroi et les structures linéaires en fer des couvertures, dans une logique viollet-le-ducienne, laissées apparentes. Ces membrures définissent un squelette réabsorbé par la continuité de l’enveloppe. Elles constituent les « coutures nécessaires » chères à Semper. Le revêtement doit montrer sa nature de couche appliquée.

« Forme et décoration sont une seule chose. Elles naissent en même temps, grandissent ensemble, et c’est proprement à cause de leur piètre capacité de discernement que les hommes séparent ces choses, comme corps et vêtement. »

La logique de la vérité de la structure et des matériaux amène Berlage à concevoir l’ornement comme un effet du processus constructif.
La cohérence interne du raisonnement de Berlage avec le mythe textile de Semper et avec les thèses rationalistes de Viollet-le-Duc va si loin que l’utilisation de l’enduit est condamnée parce qu’il masque les qualités expressives des trames constructives qu’il recouvre. Pour Viollet-le-Duc, l’enduit est mensonge.
Berlage se pose pour objectif, la redéfinition de la paroi, la « waandarchitectuur », à travers un rapport dialectique avec la structure des planchers, ayant recours non pas à la structure métallique pour la paroi mais la maçonnerie. Le rideau de maçonnerie conçu selon Semper assume également comme valeur symbolique celle de la nouvelle ossature structurelle.
Dans un processus de dissolution de la paroi, Berlage adopte une structure métallique revêtue d’une couche constituée d’éléments céramiques, qui adhèrent comme une doublure, et cette structure apparaît en façade sous la forme d’une série de minces tiges verticales recouvertes. La caractérisation formelle du revêtement doit mettre en valeur la minceur de l’ossature métallique pour révéler la vérité de la structure.
Berlage travaille sur cette idée de paroi continue texturée. En adoptant la brique comme matériau, il renonce à exprimer clairement la nature non structurelle d’une enveloppe qui est déjà mur-rideau. Il arrive à sublimer l’idée de revêtement dans l’appareillage en briques sans recourir à des solutions en couches appliquées (plaques de marbre, de pierre ou d’enduit).
A travers ses différents calepinages ou rideaux de briques, Berlage exprime symboliquement à la fois le caractère tectonique de la maçonnerie et une légèreté textile. Les ouvertures dans les volumes en saillie deviennent une percée murale taillée dans la surface de l’appareillage sans introduction de linteaux, de plate-bandes ou d’arcs, attestant la recherche d’une continuité de l’enveloppe et de son rôle de doublure de la structure.

« Le véritable revêtement propre n’est pas une enveloppe incohérente qui nie la structure, ni même un vêtement, mais plutôt lorsqu’il est indissolublement lié à la construction interne. »

« L’architecture est une personne habillée à la pire des modes. [ …] L’habit à la mode doit être éliminé pour faire émerger la forme sans enveloppe, c’est-à-dire la saine nature, la vérité. »

L’enveloppe comme rideau suspendu
Joseph Plečnik et l’appareil de maçonnerie en tant que revêtement

Les façades sont conçues comme des surfaces textiles décorées d’un motif géométrique. Le revêtement est exploré dans ses multiples possibilités de matière et de dessin, selon la logique du tissage. Il se présente comme un rideau continu enveloppant même l’angle courbe, tendu entre le vide de la partie inférieure et le retrait de la partie supérieure. Des franges de métal appliquées aux extrémités du revêtement peuvent accentuer le caractère textile de la surface.
Joseph Plečnik réinterprète de façon cohérente et originale le rideau wagnérien à motif abstrait ou fleuri. Il élimine toute trace de la tendance viennoise à dématérialiser l’enveloppe par une écriture graphique toujours plus abstraite, récupérant les formes, couleurs, ornements, matériaux, caractères spatiaux des lieux où il œuvre.

L’influence Viollet-le-Ducienne
Entre expression logique et monumentalisme
Antoni Gaudi ou l’architecture de la courbe funiculaire


De la fin du XIXème siècle à la Première Guerre mondiale, certains architectes, d’Antoni Gaudi à Anatole de Baudot et à ses élèves, de Victor Horta à Hector Guimard, tous d’ascendant culturel majoritairement viollet-le-ducien, s’engagent dans une expérimentation poussée jusqu’aux limites des possibilités constructives soit des techniques traditionnelles soit des structures de métal ou de béton armé. Gaudi et Baudot arrivent à des solutions d’une virtuosité structurelle qui, dans l’aire culturelle catalane, se marie à la tradition de l’architecture islamique, et dans l’aire culturelle française à celle de l’architecture gothique. Pour Horta et Guimard, en revanche, la structure intègre l’ornement pour générer des lignes décoratives fluides.
Combinant force d’imagination et calcul empirique du funiculaire, Gaudi libère la forme architecturale des tectoniques traditionnelles, grecques, islamiques ou gothiques, ouvrant la voie aux infinies potentialités expressives des lignes de la structure. L’œuvre de Gaudi représente l’aboutissement d’une révolution culturelle qui débuta avec la Scienza nuova de Gallilée et la découverte de l’existence d’éléments constructifs statiquement parfaits et informes (les solides d’égale résistance ou la chaînette). Ces fragments invisibles d’un nouvel univers structurel introduits dans l’architecture tel que la structure informe élaboré par Christopher Wren, deviennent des éléments essentiels pour la définition d’une théorie galiléenne de l’architecture, et prennent dans l’œuvre de Gaudi une valeur formelle.
Gaudi accepte le défi de la complexité structurelle dans le cadre d’un choix réfléchi de matériaux relevant de la maçonnerie traditionnelle, la pierre et la brique, en recherchant une forme organique que les techniques inhérentes aux nouveaux matériaux ne peuvent plus obtenir, sino à l’état de masque.
La visée idéale de l’application de méthodes scientifiques est pour Gaudi de dépasser la répétition mécanique d’éléments propre à la structure tramée, pour concrétiser l’idée d’une architecture conçue comme sculpture creuse modelée sur un squelette.

« Les formes continues sont les plus réussies de toutes. »

La conséquence de la démarche intellectuelle de Gaudi est le développement d’un système structurel caractérisé par la continuité des lignes, qui tend à l’élimination des composantes horizontales des forces (poussées).
La dissociation avec les tectoniques traditionnelles s’exprime par le choix d’ouvertures de formes irrégulières courbes et continues, qui nient la géométrie orthogonale de la solution à entablement. L’ouverture est pensée comme un vide dans la membrane organique continue qu’est l’enveloppe architecturale.
Le recours aux formes organiques en façade – façade qui apparaît comme une paroi montagneuse avec des grottes qui s’ouvrent plus nombreuses en soubassement- suggère l’ordre de la nature.

L’organicisme linéaire
Une dialectique possible entre construction et ornement

Dans les Entretiens sur l’architecture de Viollet-le-Duc, se trouve exprimée l’idée que le développement de la ligne végétale, toujours dynamique, qu’elle soit tendue ou en spirale, parte des points de connexion des structures métalliques. Un rapport dialectique peut alors s’établir entre construction et ornement. Il existe en tant que commentaire graphique et non comme masque juxtaposé qui cache la vérité.

Une structure enveloppante intégrée et unitaire
Victor Horta


Victor Horta développe ses lignes jusqu’à investir les limites de l’espace en arrivant, par une continuité de l’ornement, à une définition intégrée et unitaire de la structure enveloppe. La légèreté de la ligne ornementale en fer plat, qui fait écho à la structure, dialogue avec le signe graphique qui anime la surface.
Le langage architectural de Victor Horta se singularise par l’utilisation simultanée de deux types d’ornements investissant les surfaces, l’un amplifiant la structure et l’autre faisant écho aux tensions dynamiques structurelles ou spatiales.
Le développement continu de l’enveloppe rideau du volume unitaire établit une relation avec son environnement urbain (extérieur). La relation avec l’intérieur (avec les fonctions internes du bâtiment) se fait plus discrète se reflétant dans ce rideau en riches variations de rythmes d’une structure composite constituée de parties d’ossature métallique enchâssées entre les poteaux de maçonnerie.
La variation des rythmes structurels est obtenue en introduisant entre les grands poteaux des intervalles qui ne suivent pas une cadence dictée par des schémas structurels mais varient selon la distribution interne. La maille des diverse portions de la trame présente elle aussi des rythmes diversifiés. Le thème de la variation rythmique est enrichit par des éléments d’accentuation graphique tels que des balcons, portails, fenêtres des cages d’escaliers.
L’ossature métallique apparente prend des formes complexes. Les nervures principales et celles de raidissement de la structure métallique du plancher prennent une géométrie à réminiscences gothiques. Les liaisons entre les différentes parties de la structure sont l’occasion de digressions formelles sur le thème des lignes courbes et tendues qui expriment la transmission des charges du plancher aux piédroits.

Structure apparente et remplissages
Hector Guimard

Les expérimentations sur la structure et sur l’enveloppe nervurée menées par Hector Guimard aboutissent à une solution d’enveloppe définie par les lignes de la structure apparente et par les remplissages. Elle se traduit par des montants en fonte, des poutres de fer et une trame métallique secondaire dont les remplissages sont en plaques de verre et en plaques de lave d’Auvergne émaillées (kiosques et pavillons spéciaux du métropolitain de Paris).

Le structuralisme flamboyant
Anatole de Baudot

Anatole de Baudot met au point un système structurel complexe constitué de planchers ou de dalles courbes en béton d’épaisseur réduite, armés d’une maille métallique serrée, et avec des nervures, toujours en béton armé, reliées à des piédroits en briques creuses armées.
La géométrie de la structure, issue d’une réflexion sur les géométries gothiques, conduit à un développement dans des formes de structuralisme flamboyant.
Baudot s’intéresse à la qualité formelle des surfaces de béton et prévoit de les priver du revêtement céramique en usage de l’époque.

L’enveloppe en quête de vérité
Charles Rennie Mackintosh


Charles Rennie Mackintosh développe une recherche propre de vérité de la structure en s’inspirant de la démarche nostalgique de John Ruskin dans The Seven Lamps of Architecture (1849), se traduisant par un refus des nouvelles techniques constructives et un enracinement dans les procédés du travail artisanal où l’imperfection est la trace de la main du travailleur, et dans une préférence aux matériaux naturels.

Le symbole et la structure
Joseph Maria Olbrich


Joseph Maria Olbrich tire profit des expériences sur le revêtement d’enduit et sur les thèmes décoratifs issus de la culture textile qu’il a réalisées aux côtés de Wagner. Il conjugue l’idée de solidité suggérée par des références au temple égyptien à celle du provisoire que traduit l’utilisation d’éléments précaires typiques des aménagements d’expositions temporaires.
Joseph Maria Olbrich tente d’accentuer la charge symbolique des formes architecturales.

Les valeurs bidimensionnelles de la surface enveloppante
Peter Behrens

Un formalisme singulier pour une enveloppe sublimée

Behrens recherche des valeurs de surfaces bidimensionnelles, dans le droit fil de sa formation de peintre et de graphiste. Il articule la surface en panneaux déterminés pare des lignes qui reprennent les géométries de l’architecture romane à Florence et d’un graphisme linéaire de goût viennois. En 1920, dans une définition de sa propre poétique architecturale, Behrens souligne la solution qui consiste à « isoler les parois et [à] les rendre indépendantes par l’encadrement ».

« L’architecture est une création de volumes, et son but n’est pas de revêtir mais essentiellement de contenir un espace. La ligne n’a pas de consistance. L’architecture existe en tant que volume et consistance ».

« Les nécessités pratiques de l’industrie, comme notre besoin actuel d’air et de lumière, requiert de larges ouvertures. Mais cela ne signifie pas que toute architecture doive produire l’impression d’un squelette mince, rigide, ou d’une trame morne. [...] Mais grâce à une distribution bien calculée de zones d’ombre et de lumière sur la façade, on peut arriver à donner de la consistance à l’édifice et donc on peut aussi suggérer une sensation esthétique de stabilité qui, sans un tel recours, serait refusée au regard, indifférent à la stabilité mathématiquement démontrable de l’édifice. »

L’idée de monumentalité marque l’œuvre de Behrens. Les édifices sont pourvus d’une ossature métallique habillée de pierre. La fragmentation de l’enveloppe correspond à celle des murs internes traités en une série de piédroits. Elle révèle un mur « ordonnancé » à la manière de Schinkel. A une grande liberté dans la distribution et les dimensions des pièces, correspond une grande régularité dans le dessin de l’enveloppe. Dans sa recherche sur les configurations de l’enveloppe, Behrens définit des solutions formalistes singulières. Il sublime l’ordre architectural pour mettre en valeur les travées de l’ossature.

Rythmes graphiques de l’enveloppe
Hans Poelzig


Hans Poelzig continue à développer l’enveloppe nervurée mais en renonçant progressivement à l’accentuation plastique des montants pour aboutir à des rythmes de lignes verticales de valeur graphique qui produisent un effet compact par leur fréquence serrée.

Tensions exprimées de l’enveloppe
Henry van de Velde

L’œuvre de Henry van de Velde, comme celle d’Olbrich, dénote un passage de la ligne décorative graphique à la ligne tendue qui définit des masses architecturales, des masses puissamment modelées et articulées.

Futurisme, constructivisme, De Stijl
La structure à treillis, entre collage et dispositif dynamique

L’enveloppe constructive et typologique
Antonio Sant’Elia


1914, exposition à Milan du groupe Nuove Tendenze. Ses dessins qui montrent des structures massives inclinées avec pylônes et treillis métalliques entretenant des rapports dynamiques, témoignent de l’importance des technologies d’ingénierie de la structure métallique.
Dans les projets présentés pour l’immeuble à gradins avec ascenseurs extérieurs, Sant’Elia met au point l’unité élémentaire reproductible d’un système constructif et typologique dans lequel les travées sont toujours mises en évidence et définissent le caractère formel de l’architecture. Le choix structurel autorise une organisation libre de ses espaces intérieurs et un vitrage continu en façade se substituant à la fenêtre traditionnelle percée dans le mur.

Dans le Manifeste de l’Architecture Futuriste, « le principe de visibilité de la structure est fondateur et s’affirme aussi dans l’importance du renoncement à toute solution de type revêtement, perçue comme un masque de la vérité [...] »

Sant’Elia considère la structure comme le résultat du calcul statique, les principes de construction comme fondement de la nouvelle architecture, la décoration comme non-acceptable à l’exception de la couleur « violente », la définition formelle comme ordonnance de nouveaux matériaux. L’enveloppe architecturale doit se réduire à la visibilité des matériaux et à leur qualité.

« Et je proclame :

–Que l’architecture futuriste est l’architecture du calcul de l’audace effrénée et de la simplicité ; l’architecture du béton armé, du fer, du verre, du carton, de la fibre du textile et de tous ces succédanés du bois, de la pierre et de la brique qui permettent d’obtenir le maximum d’élasticité et de légèreté [....] ;
4. – Que la décoration, vue comme quelque chose que l’on superpose à l’architecture, est une absurdité et que c’est seulement de l’utilisation et de la disposition originale du matériau brut ou nu ou violemment coloré que dépend la valeur décorative de l’architecture futuriste. »

L’enveloppe structurelle constructiviste et les espaces cinétiques

Dans les années 1920, parallèlement aux recherches menées par des entrepreneurs et architectes sur les possibilités d’une ossature à trame régulière, d’autres tendent à explorer les usages virtuels du fer ou béton armé pour des structures à géométrie régulière complexe, traduisant l’idée de dynamique dans des solutions de mouvement réel ou suggéré symbolisé par la spirale. L’idée de dynamisme est fondamentalement nouvelle.
L’idée de mouvement s’accompagne d’une évolution des conceptions structurelles qui va de l’ossature comme répétition de travées uniformes à des structures où les rythmes des éléments constitutifs varient continuellement, induisant une dissolution de la travée jusqu’à se traduire par des figures en forme de spirales.

Les formes articulées cristallines
Bruno Taut

Des architectes comme Bruno Taut s’inspire de la géométrie des cristaux, projetant ainsi des formes architecturales articulées à facettes dont témoigne le monument de fer qu’il réalisa en 1913 à Leipzig, au pavillon de la Stahlwerksverband.

Les formes dynamiques de la spirale
Vladimir Tatline

Le monument de Vladimir Tatline ou l’archétype d’une architecture cinétique
Le projet de V. Tatline pour le monument à la Troisième Internationale, de 1919-1920 est l’archétype d’une architecture cinétique. Le projet se compose de deux éléments fondamentaux, soient deux figures structurelles, le pylône incliné et la spirale, tous deux en treillis. Cet ensemble dynamique, en rotation et en position inclinée devient le modèle des constructivistes
Tatline comme Le Corbusier et d’autres architectes, cherche dans les formes organiques telles que la spirale un modèle pour l’étude de structures à croissance continue.

« Tatline dit que le triangle est la forme qui exprimait le mieux l’idéal statique de la Renaissance, tandis que le dynamisme de notre époque est exprimée par une merveilleuse spirale »

Tatline introduit la figure de la spirale en tant qu’expression symbolique majeure de la cinétique.
Ainsi les constructivistes dépassent la logique statique par un jeu graphique et plastique. Les structures cinétiques, à treillis, sont conçues comme une figure sculpturale constituée de lignes droites ou courbes, à de grands porte-à-faux, dans des compositions dynamiques et abstraites. Les excès formalistes du constructivisme formulés en Union soviétique provoque une vive réaction en Allemagne notamment une la crainte d’une révolution de l’enseignement du Bauhaus. Mies van der Rohe exprime cette préoccupation dans une lettre qu’il adresse à Theo van Doesburg datée de 1923.

« Je le regrette beaucoup, car cela rend très difficile le travail véritablement constructif des artistes. A Weimar on a pu voir combien il est facile de jongler avec des formes constructivistes dès lors que l’on poursuit des buts purement formels ; pour eux la forme est leur but, alors que dans nos travaux elle est le résultat. Je trouve qu’il est important d’établir une séparation nette entre le formalisme constructif et la création véritablement constructive. »

Patterns de l’enveloppe

La composante graphico-plastique de la recherche de d’expressivité des structures à treillis aboutit à des patterns de lignes géométriques qui se libèrent des plans traditionnels, la trame inclinée génère des enveloppes complexes tridimensionnelles (de Buckminster Fuller à Peter Eisenman).

Variations rythmiques de l’enveloppe
comme ossature tramée

Les travaux des architectes qui déclinent des solutions d’ossature tramée par des variations rythmiques de travées répétitives, confirment le rôle décisif de l’ossature dans la définition de l’enveloppe.

Interprétation lyrique de la structure enveloppante
Leonidov
Transparence et solidité

Leonidov, dans son projet de concours pour le siège du commissariat de l’Industrie lourde à Moscou en 1934, décline les différentes formes d’enveloppe qui caractérise l’architecture de son époque.
Une enveloppe nervurée marquée par les lignes de l’ossature,
Une enveloppe continue cachant la structure portante,
Une enveloppe combinant ses deux solutions.

Ce projet se singularise par rapport aux collages de trames typiques des constructivistes du début des années 1920, par une composition rigoureuse qui superpose différentes trames, par sa force de synthèse entre rigueur structuraliste et goût graphique pour les variations, apparaissant ainsi comme un point d’aboutissement de la recherche lancée par Tatline.

Le travail poétique de l’architecte se fonde sur une interprétation lyrique de la structure. Leonidov conjugue l’effet de la transparence avec celui de la solidité de la construction, par la superposition de pavés de verre de grandes dimensions à joints verticaux décalés. Par la transparence, il récupère un certain degré de lisibilité de la structure.

« Il ne suffit pas d’être en théorie seulement favorable à la technique constructive la plus avancée ; il faut savoir en établir une utilisation rationnelle, d’une manière architecturalement juste. L’architecte doit évaluer [....] le caractère propre et les possibilités de chacun des matériaux de construction. [....] L’architecte ne doit pas considérer la technique de construction d’un point de vue strictement constructif, il doit assimiler philosophiquement ses possibilités et créer des formes nouvelles avec le matériau dont il dispose. »

1 commentaire:

  1. Ce blog est vraiment génial pour qui est passionnée comme moi dans ce domaine. J'ai parcouru quelques articles ! Très intéressant et ce dernier en particulier. Je ne sais pas où vous trouvez le temps de faire tout cela, moi j'ai essayé et j'étais vite en panne d'idées. Bon mais je dois être plus paresseuse que vous ! Merci de partager vos idées et votre regard avec les autres. J'aime votre style et je vous lis dès à présent. deco bapteme

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